La crise du CPE restera comme l’un de ces épisodes dont la vie politique française a le triste secret et qui entraînent des conséquences sans commune mesure avec le prétexte qui les a déclenchées. Cet épisode est terminé mais encore frais. C’est le moment de faire le point sur la situation et de tirer quelques leçons.
Dans cette bataille, nous avons subi une défaite qu’il serait vain d’essayer de minimiser. Cette défaite frappe le gouvernement et toute la majorité. Elle nous atteint aussi très directement parce que nous nous sommes engagés sans réserve. Nous sommes donc dans le camp des vaincus, mais, pour autant, en revenant sur notre action avec un regard critique et objectif, nous ne pensons pas avoir contribué en quoi que ce soit à cette défaite. Nous assumons pleinement les positions que nous avons prises. Nous n’avons rien à renier, rien à regretter. Nous avons soutenu le CPE parce que nous estimions qu’il était excellent dans son principe et dans ses dispositions pratiques, et nous n’avons pas changé d’avis. Il était de nature à débloquer le marché du travail et à inciter les patrons à embaucher en créant de nombreux emplois réels, c’est-à-dire répondant à des besoins, et non pas des emplois artificiels résultant de subventions ruineuses pour la collectivité et déversées dans un tonneau sans fond. Le CPE n’aurait pas eu pour effet de détruire la sécurité de l’emploi et d’instaurer la précarité, mais de donner une chance de trouver un travail à ceux qui, autrement, seraient condamnés au chômage. Le succès incontestable du CNE, organisé sur les mêmes bases, apporte une preuve par les faits de l’efficacité du dispositif. Nous avons donc mené le bon combat.
Nous nous garderons bien, également, de jeter après coup la pierre au gouvernement. Les médias aboyeurs, censeurs impitoyables après l’événement, étaient bien silencieux lors du lancement de l’opération. D’ailleurs, par quels arguments rationnels peut-on expliquer que le CNE soit passé sans coup férir et que le CPE ait connu le sort que l’on connaît ? A y regarder de près, ce que les commentateurs reprochent au gouvernement après la bataille se réduit essentiellement à une question de forme : on n’aurait pas assez discuté avec les syndicats. Mais, dans la pratique, on sait bien que de telles discussions n’ont généralement pas d’autre effet que de faire perdre du temps, car les syndicats français sont trop irresponsables pour apporter leur concours à des réformes sérieuses et trop faibles pour faire respecter les timides accords qu’ils auraient pu conclure.
On peut assurément comprendre que, dans la situation permanente d’affrontement droite-gauche qui prévaut dans notre pays, il soit de bonne guerre que chaque camp s’efforce de porter des coups à l’autre. Mais cette fois-ci, la gauche a fait paraître avec éclat qu’elle n’hésitait pas à sacrifier cyniquement l’intérêt national à son propre intérêt. Au fond d’eux-mêmes, en effet, tous ceux qui réfléchissent savent bien que le CPE aurait été bénéfique pour l’emploi et que, au pire, il n’aurait pu créer aucun dommage. De toute façon, l’enjeu était objectivement assez limité. Pourtant, c’est sur ce point que la gauche a fait porter un effort de mobilisation intense, d’une part en déformant grossièrement et en diabolisant le CPE, et d’autre part en utilisant toutes les ressources de sa logistique pour rameuter toutes les troupes dont elle pouvait disposer, des gamins aux ancêtres, sans aucune relation avec l’objet même du CPE.
Rappelons en effet que le CPE était destiné à faciliter l’embauche de ceux qu’on appelle les « jeunes en difficulté ». Les cortèges de manifestants étaient donc composés en majorité de gens qui n’étaient en rien concernés par le CPE, que ce soit les salariés pourvus d’un emploi, les étudiants diplômés ou, à plus forte raison, les fonctionnaires, voire les retraités. Pourquoi donc avoir organisé sur ce terrain un déploiement de forces exceptionnel, totalement disproportionné au prétexte choisi ?
La réponse est évidente : c’est que la gauche, dans toutes ses composantes, se caractérise aujourd’hui par un vide sidéral en matière d’idées, de projets ou de programmes.
Malgré tous les tours de passe-passe imaginables, ce vide commençait, si l’on peut dire, à devenir aveuglant. Il fallait donc détourner l’attention de l’essentiel en mobilisant dans un affrontement physique les troupes potentielles qui risquaient de se décourager. Il n’était dès lors plus question d’échanger des arguments. Il fallait remplacer le débat par le combat en organisant des grandes manœuvres dans la rue, exercice dans lequel la droite est traditionnellement mal à l’aise.
Ajoutons un élément sur lequel nous reviendrons. Depuis quelques années, l’extrême gauche, déçue par la mollesse de la gauche institutionnelle, a recommencé à mobiliser les énergies révolutionnaires inemployées et désireuses d’en découdre. Ces gens-là ont activement travaillé le terrain et ont joué un rôle de déclencheurs et d’agitateurs qui s’est révélé très efficace.
A gauche, partis politiques et syndicats avaient le même besoin de réaffirmer leur existence et leur identité dans une action spectaculaire. Ils ont joué leur jeu à fond, et il faut bien constater que ceux qu’on appelle généralement les modérés ont été une fois de plus égaux à eux-mêmes, c’est-à-dire inexistants et finalement complices. Sur le plan politique, ne parlons même pas de l’UDF, pour qui l’habitude de trahir est devenue une seconde nature, à moins que, plus probablement, ce ne soit la première. Sur le terrain syndical, il ne s’est trouvé personne pour sauver l’honneur. Le pauvre François Chérèque, écrasé par l’héritage laissé par l’homme à poigne qu’était Nicole Notat, peut-être vexé de n’avoir pas été traité avec une considération suffisante, en tout cas tétanisé à l’idée d’être traité de « jaune » par les camarades plus musclés, s’est tout naturellement conduit comme un mouton enragé en étant plus acharné que personne. Quant aux autres forces d’appoint, elles s’apercevront que leur soumission, signe de leur faiblesse, fera ressortir plus cruellement leur inutilité. Décidément, la bonne vieille formule de Lénine sur les « idiots utiles » semble avoir encore de beaux jours devant elle.
Il est de bon ton, dans tous les discours politiques, de souhaiter l’émergence de syndicats forts. On pense que, dès lors, ils pourraient acquérir le sens des responsabilités et se montrer plus coopératifs, plus pragmatiques, plus soucieux du bien commun à long terme.
Il est à craindre qu’on ne prenne ainsi le problème à l’envers. Il ne servirait à rien de gonfler artificiellement des syndicats qui devraient d’abord se remettre en cause fondamentalement. La mésaventure du CPE, et maintenant l’offensive contre la loi tout entière et contre le CNE, ne sont pas de nature à faire naître l’espoir. Tout ce qu’on pourrait attendre, c’est que les bénéficiaires mordent la main qui les aurait nourris.
Bien entendu, dans cette affaire, la jeunesse a été brandie comme une bannière et a servi en fait de paravent. Le cynisme a été poussé très loin, puisque ce sont précisément les jeunes qui paieront plus tard le prix des blocages imposés égoïstement par les syndicats et par la gauche en général.
Depuis le début de l’année plus particulièrement, les grands médias français semblent s’être surpassés pour donner d’eux-mêmes une image caricaturale. Rappelons-nous comment ils ont présenté l’actualité dans ses phases successives. Pendant des semaines, nous avons été tenus en haleine, sous pression, par le terrible péril que faisait peser sur nous la grippe aviaire. Tout volatile défunt avait les honneurs d’une rubrique nécrologique à la une des journaux écrits, radiophoniques et télévisés, jusqu’à huit fois par heure, pourvu qu’il eût succombé au quadruple signe fatal : H5N1. Certes, aucune victime humaine n’était encore à déplorer (comme pour la vache folle), mais nous ne perdions rien pour attendre. Bientôt, les victimes se compteraient par centaines de milliers (comme annoncé pour la vache folle) ou même par millions (comme pour la grippe espagnole du début du XXe siècle, record de la vache folle pulvérisé). Et puis tout d’un coup, la grippe aviaire et son cortège de cadavres ont complètement disparu, comme tombés dans une trappe. A quoi attribuer ce miracle ? Aux oiseaux eux-mêmes, qui auraient désormais la bonne grâce de mourir loin des caméras ? Au pouvoir thaumaturgique des médias qui, comme les rois de France guérissant les malades de la peau en touchant les écrouelles, auraient exorcisé la funeste grippe par le simple pouvoir de leur verbe ? Resterait une troisième hypothèse, qu’on ose à peine formuler tant elle est sacrilège : c’est que les grands médias fassent preuve d’une telle futilité et d’un tel esprit moutonnier qu’ils aient tout simplement remplacé, avec une coïncidence parfaite, l’obsession de la grippe aviaire par le pilonnage sur le CPE. Cette focalisation sur un sujet et cette dramatisation forcenée ont certainement été utilisées pour jouer en permanence sur l’émotion des téléspectateurs.
Mais, dans le cas du CPE, il s’y est ajouté des circonstances aggravantes. A l’occasion de la grippe aviaire, les médias ont produit ce qu’on appelle aujourd’hui des « dégâts collatéraux » : psychose entraînant une baisse de la consommation des poulets, au détriment des éleveurs ; risque d’accoutumance de la population qui, à force d’entendre crier au loup de façon abusive, aura un petit sourire entendu lorsqu’un véritable loup viendra croquer les brebis. Dans la bataille du CPE, les médias n’ont pas seulement été un miroir déformant, ils ont été un acteur essentiel. La plupart des stations de radio et des chaînes de télévision ont sans doute battu leurs records de désinformation. Tous les procédés ont été utilisés. Une étude faite sur le sujet a montré que, parmi les informations consacrées au CPE, 92 % étaient réservées aux opposants. Les médias audiovisuels ont largement contribué à organiser les manifestations en les annonçant de façon lancinante et en préjugeant de leur succès. Ils ont accrédité les chiffres donnés par les syndicats pour évaluer l’importance des cortèges, alors que, de toute évidence, ces chiffres étaient considérablement gonflés et relevaient dans certains cas de la fantasmagorie. Au moment où plus de 360 députés UMP avaient apporté leur soutien au CPE, la parole était presque exclusivement donnée aux trois seuls qui, alors, avaient exprimé leur opposition : Hervé de Charrette, qui veut donner l’impression que lui-même et son commanditaire à la retraite existent encore, Nicolas Dupont-Aignan, qui essaie de se distinguer pour faire croire qu’il a un destin national, et Christine Boutin qui, apparemment traumatisée à l’idée d’être classée à droite à la suite de sa lutte contre le Pacs, ne perd pas une occasion d’exposer en public son cœur sensible et sa fibre sociale.
La résultante de tout cela est que les grands médias audiovisuels ont effectivement créé une dynamique anti-CPE en faisant croire que toute la nation était mobilisée dans un immense mouvement de rejet, alors que le gouvernement était crispé dans un incompréhensible refus.
A travers les présentations médiatiques, c’est en fait toute l’interprétation de la question du CPE qui est en cause, ainsi que les conséquences qui peuvent en découler.
L’interprétation générale, plus ou moins explicite, peut à peu près se résumer sous forme de syllogisme : la jeunesse a rejeté le CPE ; or la jeunesse a raison par nature et parce qu’elle détient l’avenir ; donc le CPE était mauvais, le gouvernement a eu tort et il faut trouver une solution qui satisfasse les aspirations de la jeunesse telles qu’elles ont été exprimées au cours des semaines névralgiques. En fait, si l’on s’en tient à ce syllogisme, on s’engage dans une impasse et on s’enfonce dans le déclin. Il convient donc d’en remettre en cause tous les termes.
La première affirmation repose sur un amalgame et sur une généralisation inacceptables. Quand on fait la part des chiffres démesurément gonflés, de la composition très disparate des cortèges, des scrutins truqués et des cas où les locaux étaient bloqués par quelques dizaines ou au maximum quelques centaines d’individus, on voit bien que la paralysie de l’activité universitaire n’était pas due à la protestation massive des étudiants. Même d’après les chiffres revendiqués, en fait largement exagérés, on peut estimer à moins de 5 % la proportion des étudiants et des lycéens qui ont participé aux manifestations. Bien mieux, on a assisté à maintes opérations anti-blocage, le plus souvent à l’instigation de l’UNI, et c’est ce mouvement-là qui, les derniers temps, prenait de plus en plus d’ampleur.
Mais c’est la deuxième affirmation qui pose la véritable question de fond. C’est un fait que les manifestants, censés représenter l’ensemble de la jeunesse, sont presque toujours présentés sous un jour favorable : ce sont de bons jeunes gens qui ont raison de se révolter parce qu’ils sont malheureux et angoissés. Le CPE, attentatoire à leur dignité, constituait une sorte d’agression à leur égard. Il faut donc chercher une solution radicalement différente, toute en douceur, qui passe du baume sur les meurtrissures de ces pauvres victimes.
Eh bien, il faut dire avec netteté que cette image est grossièrement déformée.
A propos de l’innocence quasi angélique de ces jeunes gens, il faut rappeler que les locaux qu’ils ont occupés ont été souillés et dégradés de façon ignoble, et pas par les casseurs de fins de manifestations, ce qui en dit long sur l’idée qu’ils se font de la culture et de la dignité humaine en général. Mais l’essentiel n’est même pas là. Ce qu’il faut affirmer, à contre-courant de l’opinion qu’on veut officialiser, c’est que même ceux qui ont manifesté pacifiquement contre le CPE ont tort. Ils ont tort intellectuellement, parce qu’ils ne se sont pas donné la peine de comprendre que le CPE leur apportait des chances supplémentaires de trouver du travail. Ils ont tort moralement parce que, quoi qu’on puisse dire, leur refus était un refus des incertitudes inévitables (et, dans ce cas, peu écrasantes) de la vie. Ils ont tort globalement parce qu’ils s’imaginent qu’on peut échapper aux contraintes de la réalité, en refusant l’effort, en défilant dans les rues et en disant non. Tout le monde ne vit pas en France dans les délices de Capoue, mais combien de jeunes dans le monde, et pas seulement dans le tiers monde, seraient très heureux de bénéficier des conditions offertes par le CPE !
Ce qui est encore plus affligeant, pour ne pas dire répugnant, c’est que les démagogues de gauche, et peut-être aussi quelques bonnes âmes, veuillent faire croire aux manifestants qu’ils sont les héros d’une sorte d’épopée sociale et que, grâce à leur courage, ils ont sauvé leur dignité et remporté la victoire contre les exploiteurs. On s’attendrit sur l’esprit de révolte qui est l’un des beaux apanages de la jeunesse, mais lorsque la révolte se fait au nom d’un idéal qui pourrait être symbolisé par une paire de charentaises, elle perd quelque peu de son prestige.
Cela dit, si l’on voulait bien revenir à quelques idées simples, on éviterait peut-être de commettre certaines sottises qui risquent de nous coûter cher. Tout ce que nous avons dit de plus sévère sur l’attitude d’une partie de la jeunesse (une partie seulement, répétons-le) n’implique pas une condamnation définitive. Après tout, que de jeunes garçons et filles se trouvant à un âge de leur vie trouble et mal assuré, n’ayant aucune expérience des aléas de l’existence, déboussolés par l’influence délétère de l’enseignement et des médias, attirés de surcroît par des sollicitations printanières, aillent défiler dans les rues en criant des slogans irréalistes et téléguidés, voilà qui n’est pas incompréhensible. Ce qui est stupide, et même coupable, c’est qu’on les prenne quasiment pour des maîtres à penser, des guides aptes à nous indiquer les bons chemins vers l’avenir. En vérité, c’est une forme de démission : il est bien connu que les adultes qui ont démissionné croient s’exonérer lâchement des responsabilités qu’ils n’ont pas assumées en flattant les enfants qu’ils n’ont pas su ou pas voulu éduquer.
Les leçons les plus utiles que nous devions chercher à tirer des derniers événements sont celles qui nous permettraient d’éviter le retour de mésaventures aussi dommageables pour l’intérêt de notre pays.
Dans le déclenchement et le développement des manifestations du mois d’avril, il est un aspect qui a été peu mis en valeur, c’est le rôle joué par la mobilisation militante à gauche. En fait, comme nous l’avons déjà signalé, ce militantisme s’est fortement durci depuis quelques années et est aujourd’hui carrément passé à l’extrême gauche, que ce soit au sein du syndicat Sud ou dans d’autres structures moins organisées. Pendant la campagne anti-CPE, on a donc vu fonctionner cet engrenage : les militants résolus et aguerris d’extrême gauche ont allumé des foyers de revendication ici et là, puis ont entraîné les organisations syndicales de gauche, lesquelles ont entraîné les syndicats dits réformateurs et modérés, qui se trouvent ainsi, de fait, les exécutants d’une stratégie gauchiste. L’extrême gauche, qui est aujourd’hui l’élément essentiel de la gauche, est appelée à jouer un rôle décisif en 2007 et plus tard.
En face, le militantisme politique en est presque arrivé au degré zéro. On peut dire sans exagération que, sur le terrain universitaire, il n’existe que l’UNI, et ailleurs le MIL. Dans l’affaire du CPE, les jeunes de l’UNI ont déployé une activité remarquable. Là où des actions anti-blocage ont eu lieu, elles ont été montées presque partout à leur initiative. Mais il est évident que, lorsque la mobilisation de gauche devient une mobilisation de masse, l’UNI ne peut pas, à elle seule, faire contre-poids, ne serait-ce que parce qu’elle ne trouve aucune force de relais. Toutefois le mouvement, seul défenseur du CPE, a gagné en notoriété, les militants ont acquis de l’expérience et ils ont attiré à eux les étudiants les plus lucides et les plus courageux. A ce militantisme traditionnel sur le terrain, qui est et demeure toujours essentiel et indispensable, s’est ajoutée une utilisation ingénieuse et inventive de l’Internet, qui s’est révélée d’une remarquable efficacité et qui a permis, en particulier, de toucher beaucoup de gens qui se sentaient isolés, presque abandonnés, et qui se sont sentis compris et soutenus, qui ont aussi pris conscience de leur nombre et de leur force potentielle. Le renforcement de l’UNI et du MIL est donc la condition nécessaire du renforcement du militantisme de droite, lequel est une condition nécessaire pour que la rue ne soit pas abandonnée en permanence aux grandes manœuvres de la gauche.
Condition nécessaire mais non suffisante. On voit bien, en effet, qu’on ne peut plus faire l’économie d’un effort de pédagogie permanent. Cela suppose quelques conditions simples mais impératives. D’abord, des affirmations nettes, massives, sans ambiguïté. Par exemple : le CPE est bon, les manifestants anti-CPE ont totalement tort.
Ensuite, un argumentaire ciblé simple : le CPE est créateur d’emplois et n’apporte que des avantages supplémentaires par rapport à la situation présente.
Troisièmement, et c’est essentiel, des argumentaires développés sur toutes sortes de sujets et qui aboutissent toujours à la même démonstration pratique : l’illusion conduit toujours à la catastrophe, alors que l’acceptation de la réalité, bien loin de reposer sur la résignation à une fatalité étouffante, offre au contraire de multiples chances à ceux qui font les efforts nécessaires pour les saisir. Quatrièmement enfin : répéter, marteler, rabâcher les quelques recettes simples. La droite, au contraire, est presque toujours portée à finasser, à laisser entendre que, sans être parfaite, elle n’est pas aussi méchante qu’on la dépeint, que ses adversaires n’ont pas foncièrement tort, mais qu’ils prennent de mauvais moyens pour atteindre leurs si louables fins. Résultat : les slogans grossiers, souvent malhonnêtes, de la gauche écrasent sans peine les tergiversations défensives de la droite. Aujourd’hui, les Français de droite, surtout dans les milieux populaires, sont désorientés et en viennent à se demander si le combat qu’ils avaient d’abord mené de bon cœur avait été engagé pour une juste cause.
Le refus de la réalité, inhérent à la gauche, est toujours présent. Malgré les très grandes différences entre les deux époques, il est un point commun entre mai 68 et avril 2006, mis en forme et claironné en 68, rétréci et sous-jacent en 2006. Cet état d’esprit est présent en permanence à doses plus ou moins fortes. Nos efforts pour le combattre ne doivent pas se relâcher.
Il n’y a rien de plus difficile que de faire des prévisions, surtout, ajoutait un humoriste, si elles portent sur l’avenir.
Pour commencer, nous pouvons déjà faire le bilan présent. Il est désolant. On semble toujours considérer, en France, que le coût des dégâts matériels provoqués par ces petits divertissements est négligeable. En fait, il n’en est rien. Il se chiffrera au moins en dizaines et probablement en centaines de millions d’euros. Si encore les pollueurs et les casseurs étaient les payeurs, on pourrait espérer que le dégonflement brutal de leur portefeuille les conduirait sur les voies de la sagesse. Malheureusement, il y a tout lieu de penser que ces messieurs et dames regagneront leurs foyers dans l’impunité, donc avec une propension accrue à l’irresponsabilité.
Un autre acquis de ces semaines carnavalesques, c’est que l’image de la France en sort gravement écornée. «L’exception française» a certes acquis un degré supplémentaire de notoriété. Ce qui est fâcheux, c’est que ce ne soit pas à la gloire du «modèle français» que le monde entier est censé nous envier, mais pour faire de notre pays le symbole de la futilité et de l’irresponsabilité.
Quant aux conséquences politiques qui peuvent s’ensuivre, elles ne semblent pas, à première vue, incliner à l’optimisme. La victoire de la rue contre la légalité porte atteinte aux principes qui doivent régir la vie en société. L’avortement d’une réforme salutaire risque d’insinuer, et d’abord dans l’esprit du gouvernement, l’idée que la France est impossible à réformer et que la voie de la sagesse est celle d’une morne résignation. Toutes ces conditions semblant ouvrir un boulevard débouchant directement sur le pouvoir de la gauche.
En réalité, la France est aujourd’hui en état d’instabilité et de perturbation psychologique et politique. Nous en avons vu les effets funestes à propos de la crise du CPE. Il n’est pas impossible que la situation se retourne dans les mois qui viennent. Ces quelques semaines ont plongé la France dans un état irrationnel, proche de la folie, dont nous semblons avoir le triste privilège. Mais ces périodes de lévitation mentale n’ont qu’un temps. Un jour viendra le dégrisement et le retour à la réalité. Alors on s’apercevra que les faits sont têtus, que le chômage des jeunes est toujours là et que le CPE, sous un nom ou sous un autre, apporte une solution pratique et efficace, surtout si le CNE continue à donner de bons résultats.
Cette évolution des esprits est une question de temps, mais il ne faut pas compter sur une simple évolution mécanique pour que la situation s’améliore. Il faut forcer le destin, ou au moins l’orienter. Pour trouver une ligne d’action efficace, la droite au pouvoir ne doit pas sous-estimer la désorientation, voire le désarroi de la France de droite, que nous avons signalé plus haut. Si la défaite de la droite s’était produite « à la régulière », par exemple à l’occasion d’un scrutin national, la déception serait forte, mais la mésaventure ferait partie du jeu politique normal. Ce qui, dans la situation présente, laisse un fort goût d’amertume, c’est qu’on a l’impression que, implicitement, il est plus ou moins admis dans la conscience commune que le CPE était une mesure moralement douteuse que le gouvernement aurait voulu faire passer presque clandestinement. Tout se passe comme si les manifestants étaient les représentants du bon parti qui seraient parvenus à faire prévaloir un principe de moralité politique, les Français de droite se trouvant rejetés, une fois de plus, dans le mauvais camp. Il est grand temps que toute la droite consciente de ses responsabilités, détenteurs du pouvoir politique et simples citoyens, rétablisse la vérité et revendique ses principes. Malgré les apparences et les discours convenus, le redressement nécessaire relève plus de l’électrochoc que des gémissements compassionnels. Les esprits y sont plus prêts que beaucoup ne le croient. Encore faut-il qu’ils soient réveillés par une parole forte.
Pour notre part, nous persévérerons dans notre être en nous en tenant sans faiblesse aux vérités de fond, fermement convaincus qu’elles seront de nouveau reconnues comme telles. Le tournant est peut-être plus proche qu’on ne le croit. C’est pour ce moment-là que nous devons être prêts. En tout cas, le renoncement ne passera pas par nous.
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