Le Secrétaire d’Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l’artisanat et aux professions libérales auprès du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie a répondu aux questions d’action étudiante.
Action étudiante : En dépit de la qualité reconnue de nos diplômes universitaires, les jeunes diplômés méconnaissent souvent le marché du travail et peinent à s’y insérer. Quelles sont, à votre avis, les causes de ce phénomène ?
Renaud Dutreill : Beaucoup de parcours scolaires semblent éloignés du monde, les jeunes accumulent un savoir précieux mais n’ont pas le mode d’emploi, au sens propre et figuré, de ce savoir. Le système scolaire français a été façonné d’après les théories de Bourdieu et de ses disciples : il repose sur l’idée que tous les savoirs ne se valent pas, qu’il y a une hiérarchie du savoir avec tout en haut le savoir hyper-abstrait, ou savoir dominant, et en bas le savoir des métiers, ou savoir dominé. Le fait que le savoir hyper-abstrait, idéologiquement correct, débouche sur des diplômes avec mention spéciale ANPE ne semble pas sauter aux yeux des beaux esprits. En outre, l’idée d’une hiérarchie des savoirs est aussi scandaleuse que celle de la hiérarchie des civilisations, c’est une séquelle du marxisme dont nous avons peine à nous défaire. Si nous avions davantage de respect pour la diversité des savoirs, beaucoup de jeunes trouveraient leur voie, sur le plan personnel ou professionnel. Dans le cadre de la réflexion que je conduis, à la demande du Premier Ministre, sur l’apprentissage, et plus largement sur les « savoirs professionnels », nous allons veiller, avec Luc Ferry à rapprocher l’entreprise, mais aussi tous les lieux d’exercice d’un savoir, de l’institution scolaire. AE : Vous êtes régulièrement en contact avec les chefs d’entreprises des PME-PMI, dont on sait qu’ils constituent les premiers employeurs privés en France. Quelles sont aujourd’hui leurs attentes en matière de formation des jeunes ?
Renaud Dutreil : Deux mots reviennent systématiquement : qualification et employabilité. Les PME recherchent des jeunes qui connaissent un métier et qui sont immédiatement productifs. Evidemment, c’est un vœu pieux. Quand vous débutez, il faut bien que quelqu’un vous mette le pied à l’étrier. L’apprentissage est un bon compromis entre la nécessité de former les jeunes à un métier et de les insérer dans l’entreprise. La formation par alternance doit du reste pouvoir conduire à des niveaux académiques élevés, type licence ou maîtrise. L’université française est malheureusement encore trop éloignée de l’entreprise. Les écoles d’ingénieurs et de commerce ont compris depuis longtemps qu’une bonne connaissance de l’entreprise allait de pair avec l’enseignement théorique. L’université doit se rappeler que sa vocation n’est pas uniquement de délivrer un diplôme, qu’elle peut aussi délivrer des expériences pratiques. Le réel, c’est ce qui « résiste », il faut que les jeunes esprits se frottent à la résistance de la vie réelle.
AE : D’après un sondage récent réalisé par la SOFRES, le premier critère pris en compte par les recruteurs dans l’appréciation d’une grande école ou d’une université est l’existence de cursus en alternance. On sait votre attachement au développement de cette forme d’enseignement trop peu présent à l’université ? Que diriez-vous à un jeune qui hésite aujourd’hui à se lancer dans une formation en alternance ?
Renaud Dutreil : Les chiffres parlent d’eux-mêmes : l’apprentissage est une des voies les plus sûres pour accéder à un diplôme (plus de 70% pour les CAP, BEP, jusqu’à plus de 90% pour les niveaux bac +5 et plus) et à un emploi (l’insertion professionnelle dans un emploi non aidé 7 mois après la sortie de l’apprentissage est de 55% après un CAP et plus de 75 % après un BTS). En outre, l’apprentissage est un moyen de gagner son indépendance financière. Enfin, c’est une voie privilégiée pour accéder à une responsabilité entrepreneuriale et ce, quel que soit le niveau de diplôme obtenu.
AE : La recherche universitaire devient de plus en plus technique et nécessite donc des investissements de plus en plus lourds. Son financement est aujourd’hui quasi exclusivement assuré par l’Etat qui n’en est plus depuis longtemps le seul commanditaire. Quel rôle peuvent désormais jouer les entreprises pour soutenir la recherche universitaire et plus particulièrement les jeunes chercheurs ?
Renaud Dutreil : Le développement des relations entre les entreprises et la recherche publique est un enjeu majeur pour le dynamisme et la modernisation de notre économie. Les relations professionnelles et financières entre le monde de la recherche et celui de l’entreprise, en particulier de la PME, sont très insuffisantes en France : 10% des PME ont un partenariat avec une université contre 55% en Europe du Nord et 25% en moyenne en Europe. Le Plan Innovation, présenté par Claudie Haigneré et Nicole Fontaine, doit remédier à cette mutuelle ignorance. Pour atteindre cet objectif et impliquer les PME, il faut jouer sur les jeunes chercheurs. Le Plan Innovation propose en particulier de développer les doctorats en entreprises et d’instaurer un stage d’initiation à l’entreprise pour les doctorants. Je suis convaincu que le développement de l’apprentissage dans les universités contribuera fortement à ce même objectif.
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