L’année 2002 a été marquée par la mise en lumière d’une délinquance juvénile dont on a beaucoup parlé mais dont on sait finalement peu de choses. Pourriez-vous nous éclairer sur ces nouveaux comportements délinquants ?
Alain MARSAUD : On doit considérer que sur près de 20 ans, le comportement délinquant et plus particulièrement violent d’un certain nombre de mineurs s’est aggravé et que les gouvernements successifs n’ont pas su trouver une réponse adaptée, peut être parce que l’ordonnance de 1945 n’était plus un texte de référence. N’oublions pas en effet qu’elle fut mise en place pour s’adresser à des jeunes gens vivant en milieu rural, au sein de familles parfois déstructurées, alors qu’aujourd’hui, la plus grande part de cette délinquance est commise par de très jeunes garçons, vivant en milieu urbain, totalement désocialisés et n’ayant d’autres repères que ceux de l’argent facile ou de la violence gratuite.
Ce jeune homme n’a, en général, jamais rencontré d’autorité qui borne son action, que se soit un parent, un enseignant, voire une autorité religieuse, et lorsque, pour la première fois, le policier l’interpelle, il a du mal à comprendre cette entrave à son action de délinquant ou de violent. S’ensuivent bien sûr rebellions, émeutes, et autres actes destructeurs, avec toute l’exploitation que cela peut occasionner.
Xavier RAUFER : Depuis la fin des années 1990, les observateurs de terrain assistent à la montée en puissance d’une criminalité juvénile violente. Insistons sur le mot : criminalité ; car le meilleur moyen de ne rien comprendre à un problème, et de s’interdire de le traiter vraiment, est de laisser s’instaurer la confusion sur les mots. Ici, les actes qui ont à juste titre inquiété la population et fait de la sécurité le thème N°1 des campagnes électorales de 2000-2002 sont des crimes : attaques à main armées, agressions violentes, vols en réunion avec usage d’une arme, incendies volontaires, etc. Nous avons donc affaire à des criminels, ayant commis des crimes, et non à des délinquants, qui ne se rendent coupables que de délits. Cette rectification de termes n’est pas de l’ergotage de juriste, mais la juste définition d’infractions graves et à ce jour, très peu et trop peu souvent réprimées. Pour aller vite, disons que la caractéristique majeure de la situation criminelle réelle de la France d’aujourd’hui, c’est le passage de bandes prédatrices opérant à peu près sans obstacles dans ces fameuses « zones de non-droit » dénoncées de façon platonique par les politiciens depuis deux ou même trois décennies, au crime organisé, au grand banditisme.
Observons d’abord que ces zones hors contrôle sont passées de quelques dizaines au début des années 1980 à plus de 1 000 aujourd’hui, de façon inexorable et malgré un grand tintamarre médiatique et nombre d’initiatives factices, comme le fameux « ministère de la Ville ». Dans ces zones, les commerces illicites (stupéfiants, biens de consommation volés, armes de guerre) s’opèrent sans encombre, et la police n’intervient qu’exceptionnellement, à grand renfort de troupes, pour des opérations « coup de poing » souvent inefficaces.
C’est dans ces « Cours des miracles » modernes que des bandes d’abord juvéniles ont fait, en s’aguerrissant, leur passage au grand banditisme, grâce au seul « sas d’entrée » vérifiable et prouvable à la première division du crime, le vol à main armée (VMA). VMA et vols avec violence (un cran au-dessous, agressions commises sans arme à feu) ont explosé au cours des trois dernières années.
Là est le seul vrai problème « sécuritaire » de la France, aujourd’hui : réduire par la prévention d’abord et si nécessaire, en sévissant, les bandes de cité qui forment le terreau du grand banditisme ; répertorier les gangs acteurs de ce banditisme et commettant les infractions les plus graves (VMA, trafic de stupéfiants, trafic d’êtres humains, etc.) et les mettre hors d’état de nuire.
Le gouvernement RAFFARIN est en place depuis 6 mois. Quelles ont été les actions menées, de façon spécifique, contre cette forme de violence et quel bilan peut-on en tirer ?
Alain Marsaud : Dès son installation, le gouvernement Raffarin a déjà eu le mérite de prendre conscience de ce qu’était « l’insurmontable réalité » et il a fait voter dans l’urgence, deux lois de programmation et d’orientation, l’une pour la Police, l’autre pour la Justice, avec un certain nombre de dispositifs qui, outre des recrutements de personnels, doivent donner des moyens procéduraux nouveaux pour agir tout simplement, notamment les Juges des enfants vont trouver une réponse judiciaire pour toute la catégorie de jeunes délinquants, jusqu’ici hors la loi, qui vont de la simple retenue, à la détention provisoire, en passant par la garde à vue et bien sûr des mesures d’assistance.
A la fin de l’année, les policiers, gendarmes ou magistrats spécialisés ne pourront plus invoquer l’inadaptation de la loi pour éviter de répondre à la délinquance la plus insupportable pour nos concitoyens.
La création notamment d’un Juge dit de « proximité », vient épauler heureusement, la magistrature professionnelle et permettra de régler le contentieux le plus urgent.
Xavier RAUFER : Les intentions du gouvernement sont bonnes. Il a pris la mesure de la gravité du problème ce qui n’était pas le cas précédemment. Maintenant, on peut dire de la lutte contre le crime ce que Napoléon disait de la guerre « Un art simple et tout d’exécution ». Il va donc falloir juger de l’efficacité concrète des GIR (groupes d’intervention régionaux) créés pour justement répondre au problème énoncé ci-dessus : les bandes de cité, l’économie souterraine, les équipes de gangsters en pleine professionnalisation.
Pour le moment, ces GIR, qui associent policiers, gendarmes, douaniers et agents du fisc pour affronter tout le continuum criminel (commission d’infractions, gestion de l’argent illicite, enrichissement indu, moyens financiers clandestins énormes, etc.) semblent parfois pêcher par manque de renseignement efficace. Quitte à intervenir dans une cité chaude, autant que ce soit pour y saisir 50 kilos d’héroïne plutôt que cent grammes de cannabis.
D’abord parce que l’efficacité fait taire les critiques et les ricaneurs, mais aussi, parce qu’elle impressionne les malfaiteurs eux-mêmes, qui trouvent là une incitation à se tenir tranquilles, au lieu de se comporter, avec l’arrogance et la brutalité que l’on sait, en seigneurs et maîtres de « leurs » cités.
Beaucoup de commentaires ont été faits sur les projets de développement des « centres fermés », y compris tout et son contraire. Pourriez-vous nous éclairer sur la nature et le fonctionnement de ces institutions ?
Alain MARSAUD : Les centres éducatifs fermés s’adressent à une population qui, jusqu’ici, ne pouvait être placée en détention provisoire et qui se trouvait dans une situation de réelle irresponsabilité pénale.
Ces mineurs seront ainsi retenus notamment lorsqu’ils n’auront pas respecté les obligations d’un contrôle judiciaire. Il s’agit purement et simplement de protéger la société et les mineur eux-mêmes contre des actes de délinquance graves pour lesquels il n’y avait jusque là, aucune sanction.
Xavier RAUFER : C’est une discussion essentiellement rhétorique. Le problème concret, réel, n’est pas le niveau d’ouverture ou de fermeture de centres x ou y, mais de la capacité de la justice, aujourd’hui, en France, à remplir sa mission. Des chiffres fournis début 2002 par le syndicat majoritaire dans la magistrature montrent que 70% des peines de prison ferme de moins de trois mois ne sont tout simplement jamais purgées. Partant de là, une question simple : qu’est-ce qui me prouve que des magistrats incapables d’envoyer des malfaiteurs en prison seront plus capables de les envoyer en centre fermé ?
S’ajoute à cela un second problème, lui bien plus considérable encore : il y a en France une armée de ± 100 000 travailleurs sociaux nul ne sait précisément combien opérant à peu près sans contrôle sauf celui de leurs syndicats qui tous, j’insiste, sont noyautés par l’extrême gauche. Hormis une minorité de personnes admirables, véritables saints laïcs, la plupart des adhérents des syndicats du travail social opèrent suivant des critères strictement idéologiques, trotskistes le plus souvent. Si c’est entre leurs mains que doivent atterrir les jeunes malfaiteurs, le remède sera à coup sûr pire que le mal.
Quelles mesures pourraient, rapidement et sans qu’elles ne requièrent une réforme législative, être mises en place par le Gouvernement ?
Alain MARSAUD : On peut envisager sans modification législative dans un premier temps, de responsabiliser les élus locaux et plus particulièrement les Maires, à la gestion de la sécurité au quotidien, dans la ville, et leurs quartiers. Mais si l’on devait pérenniser l’expérience, il faudrait sans doute une réforme législative. La création des Groupes d’Interventions Régionaux (GIR) est sans doute une expérience à retenir pour mener la réflexion concernant la répartition des compétences entre Police et Gendarmerie, mais aussi leur collaboration.
Xavier RAUFER : Je suggère une pratique simple et révolutionnaire : l’application du Code pénal, tel qu’il est aujourd’hui. Pourvu qu’on veuille bien l’appliquer dans les faits, vous verrez qu’il fonctionnera très bien. Il ne lui manque pas un bouton de guêtre. Il faut juste l’appliquer, ce qui, le plus souvent, n’est pas fait aujourd’hui.
Le candidat Jospin nous confessait avoir « pêché par naïveté » sur le traitement de la violence ; cette ère laxiste est-elle désormais révolue ?
Alain MARSAUD : Nous avons pris des engagements très forts et très fermes lors de la campagne des élections législatives, nous nous sommes engagés à faire du rétablissement de l’autorité et de la sécurité de nos concitoyens, des priorités, aussi sommes-nous condamnés à ne pas décevoir l’ensemble des Français, qui font un effort important par leur contribution dans des moyens tant de l’Institution Judiciaire que pour la Police.
Ce geste financier est loin d’être symbolique, il est une grande première dans l’Histoire de notre pays. Il nous fait obligation de réussir dans un délai acceptable, c’est-à-dire, au cours de cette mandature, nous devons inverser le rapport de force afin qu’il soit enfin favorable à ceux qui exercent la mission de sécurité au profit de nos concitoyens. Cela est aussi un état d’esprit et j’ai l’impression que cette majorité est déterminée à y parvenir.
Xavier RAUFER : Au ministère de l’Intérieur, oui. Au ministère de la Justice, on aimerait en être sûr. Et le personnel politique vit sous la férule de deux quotidiens bien connus, qui semblent les faire trembler dans leur vaste majorité, par un entrefilet de cinq lignes. C’est là que doit se faire la vraie libération ; celle des esprits.
Le reste est relativement aisé à mettre en musique. Et efficace : partout où elles ont été vraiment appliquées, les recettes de la criminologie expérimentale moderne ont fait s’effondrer durablement la criminalité. Ces recettes se fondent sur deux axiomes, que je vous donne en conclusion :
. l’origine la plus certaine du crime, c’est le criminel lui-même ;
. les malfaiteurs ne s’arrêtent que quand on les arrête.
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