L’islam est-il soluble dans la démocratie ?

Par UNI Archives

Le 11 mars 2011 à 16h32

UNI

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La question n’est pas nouvelle, mais elle revient au premier plan depuis que l’UMP a décidé de consacrer, le 5 avril prochain, l’une de ses conventions à la question de la laïcité. Comme pour l’identité nationale, le débat me semble aussi légitime sur le fond que déplacé dans la forme : sur des sujets dont on a déjà fait cent fois le tour depuis plus de vingt ans, les politiques ne sont pas là pour débattre mais pour agir. D’autant que les données du problème sont maintenant d’une aveuglante clarté : oui, il est insupportable que l’on bloque des rues pour prier en public, et oui aussi, il est inacceptable que des croyants n’aient pas de lieu de prière pour se recueillir.
Face à ce constat quasi unanimement partagé, point n’est besoin de discutailler à l’infini – à moins qu’on ne souhaite servir la soupe à Marine Le Pen. La parole, comme on dit, est aux actes. Ce qui n’empêche nullement que, s’agissant de théologie et non de politique, la question de savoir dans quelle mesure l’islam peut s’ouvrir à la laïcité reste largement ouverte.

Dans Marianne, Jean-François Kahn y répond par l’affirmative. La Turquie, pays peuplé pour l’essentiel de musulmans, en apporte du reste la preuve factuelle. Sur un plan philosophique, le très intéressant livre de Malek Chebel Les Grandes Figures de l’islam (chez Perrin) va dans le même sens, celui d’un islam des «Lumières», qui a réellement existé et qu’il s’agit seulement de ressusciter. L’historien et ancien ambassadeur d’Israël Élie Barnavie leur répond par un avis radicalement opposé : « À la question de la compatibilité de l’islam avec la démocratie, la réponse politiquement correcte est positive. C’est sympathique mais faux. L’islam n’est évidemment pas compatible avec la démocratie. Mais le judaïsme ou le catholicisme non plus» , parce qu’aucune religion révélée ne l’est.

Dans cette querelle, au demeurant légitime, on oublie trop souvent l’essentiel, à savoir que les trois grandes religions ne sont pas à égalité s’agissant de la laïcité. Pour des raisons de fond, seul le christianisme a permis, voire favorisé l’émergence de sociétés laïques et démocratiques – et ce n’est nul hasard si ces dernières sont nées en Europe.

Pourquoi ? Pour aller à l’essentiel, parce que le christianisme accorde une place unique à la conscience, à l’intériorité, et que, du coup, il ne «juridifie» pratiquement pas la vie quotidienne. Non seulement le Christ rend à César ce qui est à César, mais il renvoie les hommes à leur «forum intérieur», comme on le voit, entre autres, dans le sublime épisode de la femme adultère. On peut lire et relire l’Évangile de Jean tant qu’on voudra, on n’y trouvera rien qui renvoie à des obligations extérieures : comment il faut prier, s’habiller, se nourrir, se marier, etc. : tout cela n’intéresse pas Jésus. Il ne cesse d’opposer l’esprit à la lettre, comme dans cette parole (Marc, VII, 15) qui marque une rupture profonde avec le judaïsme orthodoxe auquel Jésus s’oppose à l’époque, non bien sûr en tant que «chrétien», mais en tant que lui-même, rabbi juif éclairé : «Il n’y a rien d’extérieur à l’homme qui puisse le rendre impur en pénétrant en lui, mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui le rend impur.»

En d’autres termes, peu importent les nourritures terrestres et les rituels religieux. Ce qui compte, c’est la pureté du cœur, pas celle des aliments ni des métiers que les hommes exercent – ce qui, cela dit au passage, permet aussi au Christ de s’entourer d’hommes et de femmes, y compris des courtisanes, que le judaïsme orthodoxe exclut du cercle des fréquentations possibles. Or c’est cette place unique accordée à l’intériorité qui a permis le passage à la laïcité, le christianisme pouvant passer de l’espace public à l’espace privé sans obstacle absolu, de sorte que pour nous, Européens, la question est réglée. C’est peu de dire qu’ailleurs, il n’en va pas de même, en quoi le fameux thème des «racines chrétiennes de l’Europe», pour tactique et politicien qu’il puisse être parfois, n’en est pas moins légitime sur le fond. Seule la laïcité, qui n’est pas l’athéisme mais la neutralité de l’État et, avec lui, de l’espace public, a réussi à pacifier les rapports entre communautés. C’est là le miracle que notre république, qui est bien davantage fille de la chrétienté que ne le pensent d’ordinaire les républicains, a réussi, non sans douleur, à faire vivre. Ce flambeau nous est légué. Il faut le préserver à tout prix et ne jamais lâcher le moindre pouce de terrain aux fanatiques.

Article paru dans le Figaro du 10 mars 2011

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