Quelle politique universitaire pour le Campus de Strasbourg ?

Par UNI Archives

Le 12 novembre 2005 à 11h51

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A l’heure où le gouvernement désire mettre en place des pôles d’excellence et où le site de Strasbourg semble devoir être choisi en tant que centre spécialisé en médicaments, la question de la place du Campus de Strasbourg dans le paysage universitaire français se pose de façon pertinente.

Car la présence de secteurs et d’équipes remarquables dans nos universités ne doit pas cacher la forêt qui peut apparaître bien malade si on l’observe en profondeur : la vitalité de certaines essences ou de certains sous-bois ne doit pas amener à se reposer sur des lauriers pour beaucoup bien asséchés.

On se souviendra pour mémoire que l’université allemande de Strasbourg, était considérée, en 1910, comme l’une des places fortes de la Républiques des Lettres européennes. Richement dotée par un Empire allemand désireux de s’attirer les bonnes grâces des populations alsaciennes et de faire du Reichsland un exemple de la réussite de l’Empire, l’Université de Strasbourg s’enorgueillissait de posséder la plus belle sinon la plus grande des bibliothèques scientifiques d’Europe : plus d’un million d’ouvrages, régulièrement actualisés. Les étudiants assistaient aux cours brillants de professeurs renommés, dans des locaux de prestige, parmi des collections archéologiques, zoologiques, littéraires et historiques de premier plan.

L’Université de Strasbourg menait seule des fouilles en Egypte, Irak, Grèce ou Italie. L’Observatoire possédait les meilleures lentilles d’Europe, et ses analyses du cosmos suscitaient une considération même en Angleterre, pays chauvin par excellence.

Il y avait là un modèle d’Université, certes bâti à des fins politiques, mais particulièrement fécond au niveau scientifique.

Et le retour à la France, de 1918 à 1939, entretint cette réputation d’une université refondée et francisée pour le plus grand profit des étudiants : Marc BLOCH et Lucien FEBVRE y fondèrent l’Ecole historique des Annales qui devait revitaliser une étude historique enfermée dans ses habitudes. Sociologie, médecine, psychanalyse, philosophie, Théologies protestante et catholique étaient autant d’autres Facultés d’excellence, pendant que le droit ou la physique se disputaient la première place avec les universités parisiennes…

Encore, le drame du second conflit mondial n’eut-il qu’un effet temporaire jusqu’aux années 1950, à partir desquelles il faut dater le début des problèmes et d’une lente et irrésistible décandence.

Car il faut bien parler de cela, une décadence, qui a frappé l’Université de Strasbourg à partir du moment où les dirigeants nationaux ont semblé se désintéresser de la réputation des établissements de l’Enseignement Supérieur, et, de façon singulière, du site de notre ville, aux marches du pays…

Il faut ajouter que les directions successives de notre Université, puis celles qui se mirent en place une fois les trois établissements créés, ne se distinguèrent pas par leur activité, ni par un travail de communication et de promotion excessifs, c’est le moins que l’on puisse dire.

Le Campus de Strasbourg jouit aujourd’hui d’une réputation pour le moins inégale, l’Université Louis-Pasteur sauvant ses meubles, grâce à une orientation scientifique porteuse, des équipes de recherche fécondes et industrieuses, une facilité à vendre des études plus immédiatement “utilisables” et surtout un partenariat fréquent avec les groupes industriels en quête de résultats et de nouveautés.

L’Université Robert-Schuman s’est illustrée de façon paradoxale ces dernières années en défrayant la chronique comptable, puisque cet établissement à orientation juridique, économique et gestionnaire fut épinglé par la Cour Régionale des Comptes pour des “erreurs” ou “légèretés” légales et comptables, ce qui est assez piquant. Malgré tout, et heureusement, nous continuons à tutoyer les établissements juridiques parisiens et montpellierains dans le classement des diplômes les plus sérieux, ce qui n’est pas rien, alors que l’on pourraît déplorer une certaine aphonie, voire un attentisme coupable au niveau de la promotion de l’U.R.S. de la part des directions depuis une quinzaine d’années.

La palme revient à l’Université Marc-Bloch : quelles sont aujourd’hui ses domaines d’excellence ? De quoi peut-on être fier lorsque l’on sort diplômé de cet établissement ? Certainement pas du savoir dispensé dans les domaines en rapport avec le philosophie ou la politique : sociologie, philosophie, sciences sociales sont considérées comme les parents pauvres, y compris à l’intérieur de l’université, et bien évidemment à l’extérieur. A moins de vouloir être enseignants dans ces matières -et les places se font rares et chères ces derniers temps !…- les possibilités d’insertion professionnelle sont restreintes et rendues plus rares encore par une réputation fumeuse trop souvent justifiée. A quoi servent les philosophes, les sociologues, les ethnologues, sur le marché de l’emploi ?
De même, le secteur des Arts, pour lesquels sont reconnus une compétence et un sérieux indéniables à l’enseignement, souffre aujourd’hui du trop grand nombre d’étudiants, du manque de débouchés et du déficit de crédibilité dans l’opinion publique. Le mythe de la “vie de Bohème” a ridiculisé des filières de qualité à la fin desquelles l’insertion professionnelle n’existe pratiquement plus !

Demeurent et se développent encore les filières plus immédiatement “exploitables” des langues, française ou étrangères, de l’histoire et des religions. En effet, l’un des points forts de l’U.M.B. est le nombre des langues enseignées, qui nous place en première position en France, et permet d’attirer de nombreux étudiants de l’espace germanique, est-européen et asiatique. Des filières telles que les Langues Etrangères Appliquées, l’Institut de Traduction et de l’Interprétariat-Relations Internationales ou bien encore la Faculté de Langues Rares, sont des atouts que des directeurs engagés et volontaires, parfois isolés, ont su promouvoir et développer, dans un contexte financier souvent ardu mais maîtrisé. La création de diplômes en direction du Japon, de la Chine, de l’espace anciennement soviétique, avec des partenariats universitaires nombreux dans ces zones, ont assuré une relative prospérité à ces domaines.

Les domaines religieux et historiques sont le deuxième pôle sauvant l’U.M.B. d’un anonymat coupable. Seules facultés de religion publiques en France, les Théologies Catholiques et Protestantes se sont affirmées comme des centres européens de très grande qualité, de même niveau que celles de l’espace germanique ou orthodoxe. Il est bon de savoir que nos Facultés, en collaboration avec l’Institut Catholique de Paris, est le premier centre de formation de prêtres, pasteurs et popes d’Europe Occidentale, dépassant en nombre de diplômés les centres romains !

Cette excellente réputation se retrouve aujourd’hui dans le domaine historique, qui a bénéficié ces cinq dernières années du rajeunissement de son corps professoral, de la rénovation de ses locaux et d’une accélération du renouvellement de ses fonds bibliothécaires et cartographiques. Le très beau musée d’Archéologie ressort de terre, et les découvertes ou les ouvrages majeurs issus de nos murs ont redonné un rayonnement à notre Faculté.

Seulement ces motifs isolés de satisfactions ne doivent pas faire oublier l’incohérence de la politique d’ENSEMBLE du Campus de Strasbourg. Les réussites considérables des uns ne peuvent pas faire oublier les lacunes, les erreurs voire les bêtises des autres.

C’est pourquoi il faut de toute urgence redonner une direction commune aux universités de Strasbourg, relancer les coopérations, trop timides par peur de perdre de sa sacro-sainte “indépendance”, qui n’est en réalité que superbe incapacité. L’idée d’une réunification des trois établissements peut être discuter à nouveau, pour donner une taille critique à des entités certes considérables pour la région, mais ridiculement petites au niveau européen, y compris par leur pouvoir de communication et leur impact scientifique.

Les synergies sont incontournables, le travail inter-universitaire indispensable : ainsi en doit-il être pour mettre en place une vraie politique de partenariat avec les entreprises, qui devra aboutir à développer l’information sur les carrières, la politique des stages et celle de l’insetion en fin de cursus.

Il nous apparaît indispensable en effet d’améliorer (pour ne pas dire, de créer…) la politique d’orientation à destination des jeunes collégiens et lycéens, d’une part au niveau de l’école (vaste sujet…), mais aussi au niveau des universités et de l’Enseignement supérieur dans son ensemble. Les universités doivent, à cette fin, mettre en place, en partenariat avec les CROUS et les instances professionnelles, une série de projets d’information et de rencontres entre les élèves et des représentants des filières et formations afin de donner, de façon réaliste, toutes les informations adéquates pour que les élèves puissent réaliser un choix pertinent et éclairé quant à leur avenir. Cette information devra être axée, non plus simplement sur l’idée d’instruction ou d’acquisition des savoirs purs, mais surtout sur les perspectives de métiers et de carrières possibles au regard des capacités des futurs étudiants. Cela aurait l’avantage d’éviter à ceux-ci de s’engager dans des filières inappropriées par rapport à leurs talents et envies.

En même temps, les stages, mis en place grâce à la collaboration des organisations professionnelles et patronales, doivent -devront- être multipliés et rendus obligatoires, avec le souci d’éliminer définitivement ce que l’on pouvait déplorer n’être que des stages “photocopies”… Les organismes socio-professionnels auraient à établir des listes de partenaires fiables, s’engageant à accueillir les stagiaires dans des conditions préétablies, et répondant à des exigences de formation, d’éventuelles rémunérations et de suivi par les organismes partenaires. Une des pistes seraient de mettre en place, parallèlement, des associations regroupant d’anciens élèves ou étudiants, entrés dans la vie active et susceptibles d’offrir en priorité à leurs jeunes successeurs ces stages au sein de leurs entreprises ou cabinets… Ces nouvelles solidarités pourraient par ailleurs fournir ce contingent de volontaires désireux d’aller dans les collèges ou lycées pour instruire les élèves sur les métiers d’après-baccalauréat…

Enfin, améliorer l’insertion professionnelle des étudiants d’aujourd’hui et de demain ne peut que dépendre d’une politique volontariste menée par l’ensemble des acteurs du monde professionnel. Les cercles d’anciens évoqués plus haut pourraient avoir cette fonction de mise à l’étrier, en même temps que les organismes professionnels, le tout aidé par des agences pour l’Emploi redynamisées et réformées pour placer, coûte que coûte, les demandeurs d’emplois (et surtout de travail !). On ne peut que déplorer l’inertie actuelle du système qui favorise l’indolence des demandeurs, mal suivis, peu informés, en perte rapide de compétences dans un monde professionnel en mutation permanente.

Nos universités auraient ici à jouer un rôle majeur de maintien voire du renforcement du niveau de compétence des chômeurs et demandeurs d’emploi, en intégrant ceux-ci dans le cadre en développement de la Formation continue et à distance. Une partie des indemnités ou des aides pourraient être allouées à nos filières pour financer l’intégration de ces nouveaux publics qui demandent souvent de nouvelles capacités, une remise à niveau de leurs connaissances, en plus d’une réadaptation au travail par l’enseignement.

Ce gisement de nouveaux étudiants, plus mûrs car plus âgés, plus déterminés car motivés par un objectif précis et réfléchi, permettra à nos établissements de repenser des formations dont la dimension pratique est parfois difficilement perceptible, noyée dans la théorie et l’abstraction. Il y aurait là moyen, en même temps, de réaliser cette mutation des formations qui est de plus en plus demandée par les étudiants, qui se rendent bien compte des nécessités du temps.

L’U.N.I. a entrepris depuis cinq années maintenant de relayer ce type de propositions, auprès des gouvernements de tout bord, sans relâche : la campagne menée l’année dernière sur le thème de “Université-entreprise, des études pour un emploi” visait à sensibiliser aussi bien les étudiants que les professeurs ou les acteurs alentours. L’un des résultats encourageants a été la mutliplication des rencontres au niveau national avec les responsables ministériels et entrepreneuriaux. La phase de la réflexion semble donc bien entamée, mais doit s’accélérer pour aboutir à des programmes concrets.

Dans cette optique, nous saluons le choix de l’Université Louis-Pasteur comme centre de référence dans la recherche médicamenteuse ; nous applaudissons à la lecture des propositions de budgets et contrats quadriénnaux accordés par le gouvernement à nos établissements ; nous sommes d’accords pour renforcer les liens internationaux grâce à la réforme L.M.D., le tout étant que cela s’intègre à un plan et une vision plus vaste de l’avenir de nos (ou notre) université(s).

L’essentiel est que les étudiants bénéficient de tous les avantages imaginables pour leurs formations, et qu’en même temps, notre recherche, quelque soient les domaines envisagés, se nourrisse des apports scientifiques induits par les recherches et les études menés par nos étudiants et futurs chercheurs. Ce jeu de donnant-donnant, gagnant-gagnant, doit symboliser la réussite de notre système d’enseignement, et figurer l’aboutissement de la réforme en profondeur de tout le système éducatif que nous appelons de nos souhaits.

De telle sorte que, pour l’avenir, nous n’ayons plus jamais à nous poser la question de la pertinence et de l’utilisté des études de nos futurs étudiants, de nos futurs salariés, de nos futurs entrepreneurs…

MOREL Philippe

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