Sortir des slogans de Mai 68

Par UNI Archives

Le 7 décembre 2005 à 14h45

UNI

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Interview de Nicolas Sarkozy,
Ministre d’Etat, de l’Intérieur et de l’Aménagement du Territoire
Président de l’UMP
Le Point – jeudi 8 décembre 2005
Propos recueillis par Catherine Pégard


Quelles leçons tirez-vous de la crise des banlieues ?

Cette crise a d’abord révélé le souhait des Français de retrouver des valeurs, des valeurs d’équité, de respect de la règle, de bon sens. Les Français veulent que les institutions exercent leurs responsabilités, que les professeurs à l’école, les policiers dans la rue, comme les parents, comme les personnes âgées soient respectés. Que la société fonctionne selon des règles. L’impunité, l’excuse culturelle exaspèrent bien au-delà de ce qu’il est convenu d’appeler la droite traditionnelle. Je constate ensuite que les Français restent un peuple généreux comme il l’a toujours été mais qui ne conçoit pas la générosité à sens unique. Troisièmement, ils se sont rendus compte comme jamais de la nécessité d’une politique de rupture. Le modèle social français, nos dispositifs d’intégration, la politique de la ville, tout cela, ils n’y croient plus ; ils ne voient qu’un système à bout de souffle. Et notre devoir c’est de renouer avec les idéaux qui ont fondé ces politiques, de leur redonner de la réalité.

Quand les jeunes des cités s’en prennent à l’école, ne se retournent-ils pas d’abord contre le symbole de leur échec ?

Non, ils s’en prennent à l’école comme au symbole d’un service public. C’est une façon de dire « ce territoire est le mien », de contester toutes les formes d’autorité ou d’organisation publique au profit des lois de la bande. Ceux qui font cela – que je n’appelle pas des jeunes mais des délinquants – n’ont aucune envie de revenir dans le système scolaire.

Vous estimez donc que cette crise a agi comme un révélateur ?

En tout cas, pour les élites et les médias. Une fois encore, on a pu percevoir le décalage entre le pays réel et le pays virtuel, comme au moment du référendum où les élites étaient sûres que le oui l’emporterait.. On raconte aux Français une histoire qui ne correspond pas à ce qu’ils pensent. Ils rejettent la pensée unique, le préchi-prêcha social démocrate, qui explique la délinquance par la pauvreté, qui de façon excessives privilégie les zones, les territoires plutôt que l’individu. Je suis convaincu qu’on est en train de sortir enfin de Mai 68 et de tous ses slogans. Il n’est plus interdit d’interdire.

Vous ne doutez jamais d’avoir raison ?

Bien sûr que si, mais lorsque pendant le week-end du 6 novembre, le nombre des voitures brûlées est passé de sept cents à mille quatre cents et que les violences se sont étendues à la province je me suis dit : « Ou bien c’est leur loi, ou bien c’est celle de la République. Ce ne peut être que celle de la République ». La durée de la crise a bien été le signe de la gravité de la situation. Et cette gravité montre bien à quel point il est nécessaire de réviser nos schémas de pensée. Les Français du reste en sont bien conscients. Il y a six mois, lorsque je réclamais la responsabilité des juges, je déclenchais un tollé. Aujourd’hui, le garde des Sceaux demande des sanctions contre les magistrats défaillants dans le procès d’Outreau. Qui aujourd’hui défend ce qu’est devenu le modèle social français ? Personne. Quand je parlais de discrimination positive j’étais minoritaire ; aujourd’hui cette idée est majoritaire. Sur le droit de vote des immigrés, qui paient des impôts, aux élections municipales, les Français majoritairement approuvent. Quant à l’axe franco-allemand dont je contestais qu’il soit le moteur exclusif de l’Europe, qui prétend aujourd’hui qu’il est la solution pour ranimer l’Europe ?

Etait-il vraiment opportun de signer « le dépôt de bilan » des ZEP ?

Qui peut dire que malgré les efforts des enseignants des ZEP elles aient réussi ? Je propose tout simplement que l’on tire les conséquences de l’échec et que l’on mette enfin en place les moyens qui permettront aux élèves de ces zones de s’en sortir.

Pourquoi persistez-vous à critiquer la loi SRU qui oblige les communes à se doter de 20% de logements sociaux ?

Parce que cette règle ne suffit pas. Le problème ce n’est pas le nombre des logements sociaux, c’est l’absence de mobilité sociale. C’est pourquoi je veux renforcer l’accès des plus modestes à la propriété. Chacun doit pouvoir réaliser son rêve de devenir propriétaire.

Beaucoup d’élus se sont inquiétés de la montée de la haine entre communautés…

La haine est d’abord territoriale : une bande s’approprie un territoire et y fait régner la loi de la force, voilà la vérité. Bien sûr qu’il y a du racisme, des discriminations et des inégalités, mais on ne fera pas vivre les banlieues tant que les mafias seront là. Jamais depuis trente ans, on n’a fait autant pour la politique de la ville. Mais ce n’est pas de repeindre les immeubles qui fait vivre les jeunes. On a acheté fort cher le silence pour que les banlieues n’explosent pas et les problèmes n’ont fait que croître.

Vous parlez d’émeutes, le Premier ministre conteste ce terme et évoque des « troubles sociaux »…

Ce qui m’a frappé c’est l’extrême violence de ces manifestations, une violence rarement vue en France. Une boule de pétanque jetée à la tête d’une femme policier, un bus incendié dont une femme, handicapée ne peut sortir, un homme frappé à mort pour avoir voulu photographier un lampadaire… On a procédé à 5200 arrestations. Je pense que nous avons vécu là une minute de vérité : la République a dit « Maintenant ça suffit ». L’événement ce ne sont pas tant les vingt jours d’émeutes que la réaction qu’ils ont provoquée de la part de l’Etat, au nom du peuple.

Mais tout de même les mots ont leur importance

Justement ! Les choses ont changé. Il y a trente ans, on agissait et puis on communiquait. Aujourd’hui c’est l’inverse : si on gagne la bataille de la communication, on peut agir. Je sais : on ne dit plus viols mais tournantes, caïd mais grand frère, émeutes mais troubles sociaux… Pour moi le choix des mots va avec la qualité du diagnostic. On est dans la situation du médecin qui dit au malade qu’il a une grippe par peur de lui avouer qu’il a un cancer. Il faut dire la vérité si l’on veut traiter les problèmes que nous rencontrons.

Dominique de Villepin, récemment, exaltait le respect sans lequel c’est la bagarre, la division. Il vous faisait la leçon ?

J’essaye d’ouvrir la voie à de nouveaux débats. C’est mon rôle et ma responsabilité. Je crois les Français assez lucides pour comprendre et accepter qu’on emploie les mots justes pour décrire la réalité. Tout le monde sait qu’il y a des problèmes graves à dix minutes des centres villes. Oser dire les choses, c’est difficile. Mais il faut le faire. Il n’y a pas deux France, celle qui veut la fermeté et celle qui aspire à la générosité. Ces deux France sont en nous. J’ai demandé la justice et la fermeté, en même temps.

N’assiste-t-on pas à une « dérive droitière » de la société française ?

Une dérive ? Je conteste ce mot employé pour stigmatiser tout ce qui n’est pas conforme à la pensée unique. Je préfère parler du rééquilibrage en faveur de l’effort, du mérite, de la promotion, au détriment du nivellement, de l’assistanat, de l’égalitarisme. Quand on ne parlait pas de dérive droitière, quels étaient les scores du Front national ? Aujourd’hui, il s’effondre dans tous les scrutins.

Certains évoquent pour s’en réjouir, une « dérive républicaine » ?

Méfions-nous des grands mots ! Mais c’est vrai la République n’est pas la pagaille, c’est l’équité au service de l’égalité. Et dans mon esprit une égalité réelle, pas celle qui n’existe que dans les mots.

N’y a-t-il pas une contradiction à être ministre et à défendre une autre politique comme président de l’UMP ?

Non, je suis dans l’action au service des Français, mais cela ne m’empêche pas de penser à l’avenir. Toutes les présidentielles se gagnent sur le mouvement, le projet.

Le Premier ministre considère, lui, que l’UMP pourrait soutenir davantage le gouvernement.

Je ne crois pas que le Premier ministre soit gêné que l’UMP soit le premier parti de France, qu’il gagne toutes les partielles et accueille chaque jour, de nouveaux adhérents. Vous savez, les Ministres pensent toujours qu’ils ne sont pas assez soutenus. Même Alain Juppé le pensait du RPR que pourtant il présidait…

Vous ne pensez pas comme Jacques Chirac que la société française est fragile…

Ce qui est sûr, c’est qu’elle est en panne ! Elle n’est pas si fragile en tout cas qu’on ne puisse rien dire, ni rien faire. Le drame c’est que le débat droite-gauche n’a pas eu lieu en 2002 à cause de la présence de Le Pen au second tour. Du coup, le mandat des Français n’a pas été clair. Voilà pourquoi je me bats pour un projet présidentiel de rupture qui transcende la gauche et la droite.

Beaucoup dans la majorité pensent qu’il a fallu trente ans pour constater l’échec de l’intégration et qu’il faudra aussi longtemps pour en revenir. Vous semblez moins inquiet ?

L’Angleterre s’est redressée, l’Espagne aussi. Ce qu’ont fait les autres, nous pouvons le faire car notre peuple a d’immenses ressources. Je crois en lui. Je ne crois pas à la fatalité. Ou alors il faudrait renoncer à la politique.

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