Un Nouveau Missile contre la Démocratie…

Par UNI Archives

Le 5 décembre 2009 à 11h56

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Nous reprenons ici un article paru dans Le Figaro le jeudi 3 décembre 2009, et dont l’auteur, Chantal DELSOL, philosophe bien connue, met en exergue le mépris exprimé par les élites et les médias vis-à-vis des résultats d’un vote, lorsque celui-ci s’avère contredire la pensée dominante.

Une chronique claire, éclairante, une contribution qui révèle un problème auquel on ne pense pas d’emblée, mais qui mérite une attention plus scrupuleuse…


“Ce n’est pas le vote suisse qui représente un nouveau missiel contre la démocratie, mais les réactions au vote suisse.

Pourquoi les Suisses se méfient-ils tant des manifestations de la religion musulmane , par ailleurs si peu présente chez eux ? Il faudrait bien les pratiquer pour pouvoir en juger. On connaît nombre de pays, en Europe centrale par exemple, où tous les lieux de culte se mélangent sans que personne n’en fasse une apoplexie. En quoi a présence d’un minaret susciterait-elle l’obligation de voiler mes petites-filles dans dix ans ? Il est possible que ce pays bien continental, enserré dans ses montagnes et se gouvernant par ses cantons, soit dès lors plus enraciné dans sa propre identité qu’une contrée maritime, gouvernée par des centres aux yeux tournés vers l’extérieur. Mais enfin les Suisses peuvent bien, tout de même, diriger leur propre pays…

La question est l’indignation que ce scrutin souleve. On entend partout des injures. Un vote honteux, écrit une certaine presse. Ignominieux, dégradant, scandaleux, répètent les radios. Et pourquoi ? On se croirait dans Lewis CARROLL, où la reine s’écrie : “Non, non ! La sentence d’abord, la délibération après !” A croire que les Suisses viennent de commettre un crime collectif, un crime décrété par d’autres. Autrement dit, il y a une voix extérieure et sommitale qui juge ce qu’un peuple décide, et jauge cela à une aune…

Laquelle d’ailleurs ? L’ivresse démocratique, si visible il y a quelques dizaines d’années, a bien disparu. Le peuple est encore souverain institutionnellement : mais plus encore dans les esprits. Naturellement, la précédente sacralisation de l’opinion popualire avait quelque chose de ridicule et de faux. Qui peut croire comme ROUSSEAU que la volonté du peuple est “toujours droite” ? Les moines d’Occident, qui depuis SAINT-BENOÎT élisaient leur supérieur, disaient, sur les traces d’ARISTOTE, que le nombre est “présomption” d’opinion droite, et non pas preuve. Longtemps après les Lumières, ce sont les trois plébiscites confirmant HITLER au pouvoir qui ont finalement détaché les Européens de leur folie démocratique. Mais aujourd’huib, on assiste à un processus plus radical : le début d’une mise en cause systématique, ironique et méprisante, de la volonté populaire. Plusieurs types d’acteurs s’y conjuguent.

Tout d’abord les élites universalistes, sûres de leur bon droit dans le chemin de l’émancipation et du “progrès” envisagé d’une manière strictement individualiste et déspiritualisée. Ce phénomène s’aperçoit clairement dans le cadre de l’Europe. Un peuple qui refuse d’avancer dans le sens de la laïcité à la française, dans le sens de la liberté individuelle toute-puissante, ne doit pas être écouté, en raison de sa ringardise, de son conservatisme dépassé, de son “repli identitaire” (allumez la radio, vous entendrez immédiatement un journaliste affirmer d’une vix profonde et pompeuse : “Il semble bine que les Suisses soient hélas tombés en plein repli identitaire”). Et l’on trouve des truchements incroyables pour détourner la décision populaire. Les Français votent contre la “constitution” de Lisbonne ? On fait passer la décision derrière leur dos en la confiant au Parlement. Les Irlandais en font autant ? On leur impose de revoter jusqu’à ce qu’ils changent d’avis… Manière aussi peu démocratique que possible, et qui augure mal de la citoyenneté européenne dont on nous rebat les oreilles. Il n’y a de citoyens que dans une démocratie, sinon il s’agit de sujets, nul besoin de faire un dessin.

Et puis les intellectuels. Ceux qui remettent en cause la démocratier, rien qu’en langue française, forment déjà une pléiade qui mériterait des travaux apporfondis. Je ne citerais ici que RANCIERE, BADIOU, MILNER. Parfois il s’agit pour eux de tenter la restauration de l’idéal communiste. Mais plus souvent, de décrire une déception : le peuple, contrairement à ce qu’espéraient les grands esprits férus de modernité, se livre sottement au bon sens du village, au réalisme de mauvais aloi, à l’évidence partagés aussi par les incultes. Il s’intéresse à son pré carré, applique le principe de précaution à l’émancipation morale alors qu’il ne faudrait, selon la vulgate, l’appliquer qu’à l’économie. Bref, il n’a rien compris. D’ailleurs, si on le laissait faire… “Le peuple français n’aurait-il pas voté pour conserver la peine de mort, en cas de voter ?”, se demande avec justesse un quotiden à propos du vote suisse. C’est bien pourquoi on ne lui a pas demandé son avis. Mais qui nous a nantis d’un peuple pareil, qui ne fait pas ce qu’on lui dit ?

Nous voyons s’avancer tout doucement la justification d’un nouveau régime : une oligarchie. Elle ne fera pas tomber les démocraties par quelque révolution démodée. Elle agira sournoisement comme elle a déjà commencé à le faire. Elle utilisera d’abord toutes les ressources de son ironie sardonique pour ridiculiser la voix populaire qui se trompe. Puis, constatant l’inutilité de ce moyen par ailleurs assez odieux (les peuples se moquent complètement de l’ironie, qui les conforte plutôt dans leurs opinions), elle ostracisera avec vigueur les délinquants (on parle aujourd’hui de retirer massivement les comptes de Suisse), enfin elle se saisira de tous les instruments institutionnels à sa portée pour casser les décisions populaires, les remettre aux voix, les contredire en coulisse. Finalement, elle règnera sur des peuples qu’on amuse avec les scrutins, mais qui au fond ne décident rien. Les peuples ne seront peut-être pas plus malheureux. Mais enfin ils verront retomber sur eux ce sentiment d’arbitraire et d’injustice des temps anciens. Les oligarques, par exemple, feront de la pédophilie un horrible crime, sauf si elle est pratiquée par un des leurs ; enfin délivrés des sottises populaires, ils seront la mesure des lois et des décisions, ce qui leur paraîtra naturel, puisqu’ils sont sûrs, depuis le début, d’avoir raison : ils n’avainet pas défendu la démocratie par amour de la liberté de pensée, mais parce qu’ils croyaient que les peuples allaient leur obéir.

Dans cinquante ans, moins peut-être, on s’interrogera douloureusement : “Comment se fait-il que notre continent, qui chantait depuis des siècles un hymne majestueux à la démocratie et en avait même fait une obligation de pensée, est devenu un régime oligarchique ?” Les chercheurs entreprendront des thèses sur ce mystère. Les réactions au vote suisse sur les minarets représenteront l’un des nombreux signes avants-coureurs où l’on voit qu’une tissu se déchire.”

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